Mama got a gun
Ma mère était jeune et ambitieuse. Ma mère avait pleuré devant Pretty Woman et rêvait, ce soir là, avec ses copines du prince charmant. Ma mère aimait Hendrix et Nina Simone Ma mère plus jeune adorait les films hindous et était triste pendant des semaines parce qu’elle pensait que les acteurs mourraient pour de vrai dans les films. Ma mère était belle et dure, fière comme une princesse Ashanti qu’elle était. Ma mère enceinte de moi rêvait d’une fille et me mit des robes jusqu’à cinq ans. Ma mère ne savait pas aimer mais voulait un foyer uni pour ses enfants, elle qui n’avait jamais connu que l’absence et les coups. Ma mère m’aimait plus que tout, moi, sa réussite comme elle disait, moi qui lui ressemblait tant.
Et pourtant…
Ma mère a épousé un homme aussi dur qu’elle, jeune dur et bourru, avec qui les tables et les coups volaient pendant les disputes. Ma mère qui préférait répondre à la tristesse par le combat, au désespoir par le travail, mixa du vin au cannabis, avala une boite entière de Stilnox, entra volontairement dans une baie vitrée, bu des rasades plaines d’eau de javel, tenta de se rendre folle et pleura souvent seule la nuit devant son Mac 13 pouces en pensant à son foyer.
Ma mère était encore plus belle que jamais pour que personne ne sache.
Ma mère n’a plus essayé d’être maternelle et passait ses colère sur son favori quand elle trouvait le temps entre son boulot et ses sorties. Qui ne souriait que quand je lui disait qu’elle et moi c’était à la vie à la mort.
Ma mère ne voulait pas que je grandisse, elle avait peur de ça, elle ne voulait pas que je m’en aille, que je la laisse seule, moi qu’elle aimait tant : sa réussite comme elle disait.
Elle ne comprenait pas pourquoi je me décomposais petit à petit, je buvais du soir au matin, pleurais seul à ma fenêtre, dépensais de plus en plus, me scarifiais, m’ouvrais les veines, elle ne comprenait pas quand je ne mangeais plus, quand j’accumulais les dépressions et les diatribes.
Elle m’aimait tant qu’elle m’arracha des cheveux, frappa ma tête contre le sol à plusieurs reprises, me gifla de toutes ses forces, me poussa dans les escaliers, et me voyant abruti incapable de parler ni de penser, m’aima tellement qu’elle composa le numéro de l’ambulance, pour m’interner qu’elle disait avec un petit rire aussi dément que moi. Parce qu’elle ne voulait pas que je parte ; qu’elle préférait me tuer que de me laisser partir. Parce que si je partais c’était comme si, moi, sa réussite, moi qui lui ressemblait de plus en plus, le beau morceau d’elle même la quittait.
Ma mère m’aimait tellement…
Mais je suis parti, j’ai blessé ma mère jusqu’à ce qu’elle pleure des jours entiers. Je lui ai volé la flamme qui brûlait en elle. Je l’ai blessée parce que c’était elle ou moi et que ça aurait pas été moi. Ai nié son anniversaire en sachant qu’elle attendait mon appel. Je lui ai donné une voix toute petite, diminuée, presque plaintive qui me fout les larmes aux yeux quand je l’entends parfois au téléphone. Une voix qui dit je suis seule, une voix aux relents d’abandon, la voix de quelqu’un qu’on aurait poignardé par derrière.
Ma mère m’aime tellement que j’ai peur de penser à elle. Parce qu’entre nous c’était à la vie à la mort. Qu’elle c’est moi, que mon reflet dans le miroir me renvoie tous les jours à elle, jusque dans mes moindres traits. Que je suis malade de notre amour.
Je l’aime tellement que je ne lui pardonnerai jamais.